Sentiment d’imposture… un sentiment dont on parle souvent, en particulier pour les femmes et les personnes douées, atypiques, qui ont l’impression de ne pas avoir suffisamment mérité, qui ne se sentent pas suffisamment maîtres et possesseurs de leurs compétences et de leur savoir. On dit souvent qu’il faut s’en débarrasser, que c’est un sentiment qui mène à l’auto sabotage. Même si c’est juste, cette notion me laisse un peu songeuse … et si l’imposture était réelle ? Et si ce sentiment était en fait une bonne chose ? Et s’il était signe de lucidité ? Je m’explique : en quoi pouvons nous certifier que nous sommes vraiment passés maîtres, créateurs uniques, absolument autonomes ?
Les bourses des étudiants étant financées par des dons, un centre d’appel a été mis en place pour obtenir un soutien financier des anciens élèves. Travailler dans un centre d’appel est un job ingrat : neuf fois sur dix, on vous raccroche au nez. Pour tenir ses collaborateurs en haleine, la direction du centre tente diverses techniques.
INRS
D’abord, une enquête est conduite auprès des 100 employés du centre d’appel. Elle oriente sur deux types de solutions : la moitié des employés interrogés propose d’améliorer les conditions de travail (un meilleur environnement de travail pour se sentir bien), l’autre moitié d’augmenter la rémunération (utiliser la carotte, avec une prime au variable atteint). Les deux expérimentations sont menées. Résultat : elles ne produisent aucun effet. Normal, nous direz vous, concernant la carotte : une prime, une récompense extrinsèque n’a un impact positif sur la motivation que de manière ponctuelle pour des tâches qui ne nécessitent pas d’intelligence. Pour des tâches complexes, donner des éléments de motivation extrinsèque aurait même un impact tout à fait négatif, car cette manœuvre ferait oublier le plaisir et l’intérêt de la mission pour elle-même.
Adam Grant tente alors une autre expérience qui consiste à chercher à produire un déclic : à trois groupes, il propose une activité particulière un matin, à l’heure où les employés démarrent leur journée au centre d’appel.
- A un premier groupe, il lit, pendant cinq minutes, un texte qui explique que oui, ce job est difficile, mais qu’il va permettre aux employés du centre d’appel de développer une résilience, une résistance, des talents qui leur seront utiles toute leur vie. Ainsi, à long terme, ils seront contents d’avoir acquis une telle expérience. Résultat ? Aussi nul que les deux premières expérimentations.
- A un autre groupe, dans les mêmes conditions, on lit le matin le témoignage d’un jeune qui rêvait de faire ses études à l’université du Michigan mais dont les parents avaient de telles difficultés qu’il leur était impossible de les lui financer. Il explique, ravi, en quoi cette bourse a changé sa vie. Et là, surprise : les résultats d’obtention de dons à la fin de la journée sont multipliés par 3.
- L’expérience ne s’arrête pas là. Comme le jeune qui rêvait de faire ses études à l’université du Michigan est étudiant en quatrième année, il vient raconter son histoire pendant cinq minutes devant un dernier groupe d’employés. Cette fois, les résultats sont multipliés par 4.
Que nous apprend cette expérience ? D’une part, que contrairement à ce que beaucoup affirment encore, les individus sont davantage motivés à mettre leur énergie au service d’une cause qui les dépasse que pour leurs propres intérêts. D’autres part, que le sens n’est pas celui qu’on vous déclame mais ce qui prendra sens pour chacun.e.
L’expérience montre autre chose : on aurait pu comprendre que les résultats aient été multipliés par trois ou quatre le premier jour, sous l’effet de l’émotion. On sait que les effets émotionnels ne sont pas stables. Mais non, les résultats ont continué à être multipliés par trois ou quatre (selon que le témoignage ait été lu ou que l’étudiant se soit rendu lui-même au centre d’appel) pendant les jours et les semaines qui ont suivi.
Conclusion : vouloir ne suffit pas à pouvoir, les études de Samah Karaki** ont bien montré que la méritocratie était un mythe, et nos petits défis quotidiens (maigrir, faire plus de sport, mieux ranger) nous l’ont maintes fois confirmé.
Ce qui nous motive durablement est ailleurs. Dans un déclic** qui n’est pas forcément le produit de notre volonté consciente mais d’un sens bien plus profond, qui se révèle dans des conditions particulières que les études actuelles nous permettent d’appréhender de mieux en mieux.
Ce n’est évidemment pas le fruit du hasard****.
Ce qui nous motive durablement et fait sens se révèle à nous comme une épiphanie, dans un moment de prise de conscience qui peut être jubilatoire. Il apparaît souvent en présence d’un autre qui a su vous rejoindre et vous a permis d’advenir, ou dans un cadre collectif bien pensé et facilité qui a eu le même effet.
Ce sont ces moments précieux qui font qu’on change, de notre propre gré, pour le meilleur.
* Daniel Pink est un auteur américain né en 1964.Il fait partie du prestigieux Thinkers50, classement mondial des penseurs les plus influents en business. Docteur en droit (Yale), il a été la plume du vice-président des États-Unis, Al Gore
**Declic, de Philippe et Hélène Korda, « Quand un mot suffit pour changer de vie ».
*** Samah Karaki est docteur en neurosciences. Son livre « Le talent est une fiction : déconstruire les mythes de la réussite et du mérite », est paru en 2023 aux Éditions Jean-Claude Lattès
**** L’apparition de cette femme au côté d’une lionne n’est pas non plus le fruit du hasard