La non–violence, ça n’est pas la fin de la violence, c’est une philosophie de vie dont peuvent découler tous nos autres principes. Isabelle Melin-Daniau, enseignante de yoga, nous invite à partager son expérience.
« Il nous faut apprendre à vivre comme des frères, sinon nous périrons ensemble comme des imbéciles » Martin Luther King
On imagine parfois la non-violence comme une attitude égale en toutes circonstances, un idéal de lucidité réservé aux tempéraments placides. Ça n’est pas tout à fait juste. La non-violence n’est pas la négation de la violence, elle est l’opposition à la violence. Contrairement au pacifisme, elle n’évite pas le conflit, elle reconnaît son utilité.
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« la non-violence n’évite pas le conflit, elle reconnaît son utilité »
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La non-violence comme mode d’action
Elle n’est pas une force passive, elle n’est pas un renoncement, un laisser-faire ou un lâcher-prise, elle est une philosophie de vie et une logique d’action. « La non-violence est une force active » disait Ghandi. Elle a renversé bien des régimes totalitaires², c’est une voie d’émancipation qui porte des fruits.
« La vraie démocratie ne viendra pas de la prise de pouvoir par quelques-uns, mais du pouvoir que tous auront un jour de s’opposer aux abus de l’autorité » (Gandhi, 1869-1948).
Dans la tradition indienne, la Bhavagad Gita raconte l’histoire du guerrier Arjuna qui part à la guerre et réalise soudain qu’il va combattre ses cousins. Quel sens ça a, d’aller au combat, se demande-t-il ? C’est alors qu’Arjuna reçoit un enseignement de Krishna, son cocher. Il prend conscience que quelle que soit sa décision, elle produira des effets à la fois bons et mauvais, et que ce qu’il doit trouver, c’est l’acte juste : comment il participe à des actions qui, toujours, auront des impacts.
Et ici, agir de manière non-violente ne signifie pas refuser la bataille.
Choisir notre point de départ
« La non-violence n’est pas un comportement, c’est un processus, que chacun peut initier où il veut », explique Isabelle.
Une idée peut consister à partir de ce qui fait sens pour nous (parmi les définitions de la non-violence par exemple, sommes-nous davantage sensibles à l’idée de ne pas nuire, à l’innocuité, ou à l’opposition à la violence, …) pour enclencher le processus qui va s’enraciner, se développer et nous transformer de l’intérieur.
C’est un chemin de longue haleine. « Si je m’occupe de « ne pas être violent », si je mets juste un couvercle sur mes émotions et que je cherche à lutter contre un comportement, ça ne marche pas : à un moment ou un autre, je suis rattrapée par la violence ».
Une démarche pas à pas
« Ce qui me permet de grandir, c’est le discernement », poursuit Isabelle.
Il s’agit d’y aller progressivement.
C’est dans cette simplicité que nous pouvons, pas à pas, défaire nos processus de violence.
Par exemple, exercer une violence moindre (une petite tape qui effleure la tête plutôt qu’une gifle, hurler « je suis en colère contre vous » plutôt que « vous êtes des imbéciles ») peut être une étape vers la non-violence.
C’est aussi en étant bienveillant avec nous-mêmes que nous pouvons poursuivre le processus, sinon nous risquons de nous sentir persécutés par l’idéal de non-violence. Pour aller vers la paix, nous avons tout à gagner à accepter que nous ne sommes pas parfaits et que nous n’avons pas toujours de réponse aux problèmes auxquels la vie nous confronte.
Créer des espaces pour récupérer
Krishnamurti, dans ses lettres aux écoles, expliquait que pour ne pas céder à la violence, nous avons besoin d’avoir des espaces où nous pouvons nous mettre en retrait pour récupérer et prendre conscience de nos problèmes personnels afin de « ne pas apporter à nos enfants la rumeur et le bruit de notre tumulte intérieur ».
Ce travail de silence en nous nous permet de nous régénérer pour être vraiment avec nos proches et nos collaborateurs quand nous sommes avec eux.
Car la violence apparaît quand nous buttons contre quelque chose. Elle indique qu’il y a, en nous, une résistance.
Réintroduire de l’espace (nous offrir un sas de sécurité, un instant de répit, nous retirer dans un endroit sécurisant) nous permet déjà de nous sentir moins coincés !
Rester en contact – prendre conscience de notre interdépendance
L’histoire du guerrier Arjuna en témoigne : le chemin vers la non-violence passe par la conscience de notre interdépendance : « je peux être violent si je me sens coupé de mon interlocuteur. Si je reconnais qu’il m’est semblable, je m’apaise », explique Isabelle.
Dans le même ordre d’idées, une coach d’entreprise conseillait « si votre chef, votre collègue ou votre conjoint vous insupporte, cherchez vous un point commun » : dès qu’un sentiment de proximité s’installe, le contact peut reprendre et un dialogue peut s’instaurer.
Observer
Une autre piste qu’Isabelle utilise beaucoup : se mettre en position d’observateur.
En effet, quand nous nous mettons à observer ce qui se passe, nous devenons témoin. Nous décollons de nos a-priori, nous pouvons voir les choses autrement.
L’idéal est d’acquérir une vision holistique, de pouvoir zoomer puis élargir notre champ de vision pour comprendre comment les choses se mettent en place. Ce processus nous invite à travailler sur nous, à démêler le présent du passé (et de son influence sur notre perception du présent) et à ne plus nous identifier à nos comportements.
La non-violence, fondement d’une philosophie de vie
« C’est toute l’importance de l’attitude intérieure. Si quelqu’un vit dans un état de non-violence, c’est-à-dire de non-jugement, de respect de l’autre, il va influencer son entourage et il sera très difficile d’être agressif à son égard ou même simplement en sa présence ». F. Mazet
La perspective non-violente considère la violence comme une atteinte à l’humanité : celle de ceux qui la reçoivent, mais également à celle de celui qui la prône. Elle dit le respect, en pensée, en parole et en action, de la vie.
La violence n’est pas seulement un acte physique, elle peut être verbale ou psychique. L’indifférence est aussi une forme de violence !
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« La non-violence sous sa forme active consiste en une bienveillance envers tout ce qui existe. C’est l‘Amour pur. » Gandhi
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« Alors qu’une bonne action doit appeler l’approbation, et une mauvaise, la réprobation, le fauteur de l’acte, qu’il soit bon ou mauvais, mérite toujours respect ou pitié, selon le cas. « Hais le péché, non le pécheur » – c’est là un précepte que l’on applique rarement, s’il est aisé à comprendre ; et c’est pourquoi le venin de haine se répand si vite dans le monde. L’ahimsâ est le fondement de la quête de vérité. Il n’est pas de jour où je ne m’aperçoive, en réalité, que cette quête est vaine, si elle ne se fonde pas sur l’ahimsâ. S’opposer à un système, l’attaquer, c’est bien ; mais s’opposer à son auteur, et l’attaquer, cela revient à s’opposer à soi-même, à devenir son propre assaillant. Car la même brosse nous a peints ; nous avons pour père le même et unique Créateur, et de ce fait les facultés divines que nous recelons en nous sont infinies. Manquer à un seul être humain, c’est manquer à ces facultés divines, et par là même faire tort non seulement à cet être, mais, avec lui, au monde entier. » Gandhi, Autobiographie ou mes expériences de vérité
Et même si ça nous paraît loin, n’oublions pas que c’est un chemin !
photos : Yoann Lambert
Cet article a initialement été écrit pour le webzine Parents à Parents cofondé par Gaëlle Brunetaud, Valérie Dupin et Odile Bonaventure